Quand le Machine Learning s’intègre dans l’univers de la physique fondamentale, cela donne une communication remarquée lors de l’Assemblée générale de l’European Geosciences Union qui s’est tenue à Vienne en mai dernier. Les auteurs ? Deux enseignants chercheurs en mathématiques appliquées à l’ECE… Rencontre avec Waleed Mouhali et Jae Yun Jun Kim.
Quel objet de recherche se cache dans le titre de votre communication : “Velocity field reconstruction by Machine Learning during kinematic dynamo process” ?
Waleed Mouhali : la Terre est entourée par un champ magnétique qui nous protège des rayonnements cosmiques et des vents solaires. Il forme un « bouclier » dont l’étude permet de comprendre autant la structure et la dynamique interne de la Terre que les phénomènes qui se produisent dans la haute atmosphère et dans l’espace. Ce champ magnétique est généré par « effet dynamo » via des mouvements appelés « convection » du fer liquide dans le noyau de notre planète. On le repère par des lignes de champs magnétiques. Loin d’être immuable, il évolue dans le temps et dans l’espace. Autour de ses deux pôles Nord et Sud, on observe aléatoirement des phénomènes d’inversion de pôles qui ont pour effet d’annuler le champ magnétique et de priver certaines zones terrestres de protection.
La compréhension du géomagnétisme ouvre de nombreuses applications. En 2019, avec des étudiants de M2, nous avons ainsi développé une méthodologie de cartographie du champ magnétique inspirée du biomimétisme (1).
Jae Yun Jun Kim : notre projet de recherche est proche dans sa philosophie, mais son originalité réside dans le choix d’utiliser du Machine Learning pour modéliser une sorte de GPS magnétique capable de suivre les variations des lignes de champ magnétique. C’est la compréhension des algorithmes de traitement des données liés au Machine Learning qui est centrale.
Quel est l’apport du Machine Learning ?
Waleed Mouhali : au préalable, il faut savoir que les mouvements de convection du fer liquide contenu dans le noyau terrestre sont physiquement représentés par des champs de vitesse. Pour comprendre l’organisation spatiale et la dynamique d’évolution des lignes de champ magnétique, il faut résoudre des équations complexes modélisant l’effet dynamo, à partir de champs de vitesse liés aux écoulements. Cela nécessite des calculs lourds en ressources et coûteux en temps.
Jae Yun Jun Kim : À l’inverse, générer des champs de vitesse à partir de champs magnétiques connus a toujours été très difficile à résoudre. C’est précisément sur ce point que le Machine Learning se révèle très prometteur. Le Machine Learning est une discipline d’étude qui se fonde sur des approches mathématiques et statistiques pour donner aux machines la capacité d’apprendre, c’est-à-dire d’améliorer leurs performances à résoudre des tâches sans être explicitement programmés pour chacune d’elles.
Deux étapes sont fondamentales. Dans une première phase de codification, on va « nourrir » la machine avec des données de champ de vitesse héritées de simulations directes pour apprendre à générer le champ magnétique. Dans une phase de décodification, on apprend à reconstruire le champ de vitesse à partir du champ magnétique « appris » pendant la phase de codification. L’objectif est de minimiser l’erreur entre champ de vitesse reconstruit et champ de vitesse initial. Chaque étape fait appel à un « réseau de neurones » profond ou Deep Neural Network, en pratique des couches de neurones interconnectés inspirées de l’organisation du système nerveux (2). Pour trouver notre champ de vitesse à partir d’un champ magnétique, il suffit d’utiliser la deuxième étape de décodification. À cette conférence, nous avons proposé une nouvelle méthodologie capable de reconstruire le champ de vitesse associé à des données de champ magnétique réelles. Nos données de champ de vitesse pourront alimenter des simulations directes de l’effet dynamo et permettre par hypothèse une meilleure prédiction des lignes de champ magnétique.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Waleed Mouhali et Jae Yun Jun Kim : notre communication à l’EGU a suscité un réel intérêt puisque nous avons reçu une proposition de collaboration d’une équipe conjointe de l’Université d’Heidelberg et du Helmholtz-Centre Potsdam*. Elle pourrait nous fournir des données de champ magnétique aléatoire pour raffiner nos méthodes. Nous collaborons également avec Thierry Lehner, astrophysicien de l’Observatoire de Paris, pour l’obtention de données issues de simulations numériques de l’effet dynamo. Notons tout de même que le Machine Learning, et l’IA en général, reste un outil. L’intuition, la créativité, l’analyse et la rigueur scientifique des chercheurs restent primordiaux à l’heure où semble-t-il une nouvelle ère numérique s’ouvre avec l’IA et l’informatique quantique !
*GFZ : German Research Centre for Geosciences
Mis à jour le 23 mai 2023